« Trop nul pour faire pitié : quoi
que j’en pense, je suis bien avec ce que je suis ». Faute d’avoir investi
ma mission de vie, moi, W.B., concierge misanthrope et
affligeant paquet de détestation,
j’ai ciselé mon épitaphe. Dans cette
autobiographie en cours de rédaction, je présente les
différentes entités que je côtoie et donne accès à mon langage intérieur.
Le récit de ma mise en bière déroule les hommages
posthumes de mes compagnons de cellule. Il y a Monsieur Igor, le gorille
cosmique, Bannik, le farfadet potache, Karl-Otto, le technocrate glacial,
Jeromeke, le paladin secourable, Tsim-Tsoum-Yang, l’artichaut mystique, et Navy,
le chœur du Soi. Quelques visiteurs assidus les fréquentent : des Milfs,
des Ephèbes Ephémères et des Papas Poulpes.
Tout a commencé lorsque j’ai renoncé à mes
perversions et au confort qu’elles procuraient. J’ai en même temps liquidé
toute prétention à être exceptionnel. Enjeu : suspendre mes mécanismes de
défense inconscients et me rendre vulnérable aux relations sociales réellement existantes.
Mon calvaire vient de devoir faire semblant. J’ai
rencontré l’amour inconditionnel, et quoi que je fasse pour m’en débarrasser, je
suis forcé d’essayer de rendre la pareille à ma généreuse donatrice. Alors qu’à
l’intérieur de moi règne la désolation, dernier rempart à l’angoisse de néantisation.
Nul n’échappe au poison de la
conditionnalité : tel le scorpion, il se retourne tranquillement sur
lui-même. Jusqu’à secréter la honte d’être inadéquat. Si tu existes, tu es
imparfait, si tu es parfait, tu n’es pas né. Pauvre poisson.
Mon dernier mythe personnel s’est effondré. Je
pensais pouvoir attribuer mon exceptionnalité aux noces sordides d’un violeur
sexagénaire et d’une incestueuse mélancolique. Papa, Maman, les faits n’ont pas
tenu devant la corrosivité de mon jugement interne impitoyable. Quand on ne
s’accorde pas de valeur, on se donne de l’importance.
Comment, sans plus pouvoir être le héros de ma
vie, guérir du mal subi ? La surpuissance repliée sur elle-même sous forme
d’autohumiliation n’est qu’un vain simulacre d’humilité. J’ai longtemps nourri l’espoir secret et mégalomane qu’en convoquant Dieu il répondrait, dans
sa miséricorde, à mes supplications.
Si je retire une certaine jouissance à
m’identifier à un tableau clinique psychopathologique, liquider mes perversions
m’a précipité dans la souffrance. Je suis le seul objet sur lequel m’acharner
sans relâche et sans espoir. A défaut d’être spécial, je fantasme
l’imperfection. Trop lâche pour finir en beauté, je célèbre en grandes pompes funèbres
mon auscultation psychique. Trop envieux pour assumer le risque de mes
ambitions, je sublime ma grandeur déchue en fausse modestie.
Cultiver l’abnégation ne fera pas de moi un
altruiste authentique et, sans attendre d’être démasqué comme imposteur, je m’inflige
avec cruauté un nouveau tourniquet de tourments psychiques. On n’a que le bien
que l’on se donne. Et surtout, on n’est jamais aussi bien desservi que par
soi-même. L’autoflagellation ne me rendra pas disponible pour l’élection
divine.
Comment
authentiquement sacrifier mon Moi grandiose sans brandir le scalp d’Hara-Kiri
en trophée ? Mettre en scène mes propres funérailles
fera-t-il taire tout ce vacarme existentiel ou, ultime trompe-l’œil, est-ce
simplement une nouvelle manifestation de mon narcissisme compulsif ?
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