Stopper la nécrose
du monde
Acteur du
mouvement pro-climat, qu’aies-je retenu de l’interpellation de la 1e
Université d’Été des Immenses (2021) ?
Et que
répondre aux chapitres "Zéro déchet humain ou contre l’économie du
gaspillage (humain)" (pages 28-48 & 164-183 des Actes de
l’Université d’Été 2021) ?
I. La
revendication immense : être respecté.e
J’en distingue
trois aspects :
a) la reconnaissance
comme enjeu moral de visibilité. C’est la dignité de la prise de parole des moins-que-rien
pour retourner leur stigmate contre la domination;
b) la réparation
comme enjeu social d’inclusivité. C’est la pertinence écologique des
sentinelles surnuméraires pour restaurer nos mondes épuisés;
c) la révolution
comme enjeu politique d’égalité. C’est la promesse émancipatoire de l’avant-garde
des laissé.es-pour-compte pour abolir les oligarchies.
II. Préférer les "climateux" au mouvement pro-climat
Je
m’exprime ici comme membre d’Extinction Rebellion Belgium.
"Climateux" :
c’est ainsi que les camarades Gilets Jaunes de Belgique moquent le mouvement
pro-climat.
Dans la
foulée, dissipons quelques idées préconçues. Les clichés ont la peau dure.
a) Le mouvement pro-climat n’est pas homogène
On y
trouve des méditant.es, des militant.es et des combattant.es, des automobilistes
et des cyclistes, des anticapitalistes chevronné.es et des boomers repenti.es, des
altruistes et des survivalistes, des croyant.es et des sceptiques, des végan.es
et des carnistes, des salarié.es et des volontaires, des conspirationnistes et
des conformistes.
Tout l’éventail
de la société civile éco-anxieuse, des réformistes aux révolutionnaires.
b) Le mouvement pro-climat ne s’intéresse ni aux
ours polaires, ni aux pandas
Il soutient
plutôt l’écologisme
des pauvres, leurs luttes pour obtenir réparation des pertes et des préjudices infligés par
l’extractivisme. Lequel réduit le vivant à un réservoir de ressources et à un
dépotoir de déchets afin d’assouvir l’avidité du profit.
Le
mouvement pro-climat s’oppose aussi au long-termisme (ou "altruisme efficace"), la nouvelle
dystopie eugéniste et transhumaniste des ultra-riches.
c) Le mouvement pro-climat ne fantasme pas la
convergence des luttes
Loin des
querelles byzantines dont la gauche institutionnalisée a le secret, le
mouvement pro-climat prône le principe du
respect de la diversité des tactiques pour obtenir, sur tous les fronts, le
changement structurel du système toxique qui nous empoisonne.
Ces
clarifications faites, qu’apprendre des Immenses ?
III. Le monde est
devenu immonde
Dans le
contexte du "cataclysme
climatique" (dixit le GIEC en 2021), les Immenses accusent les Immondes.
Les
Immondes sont les structures sociales et les politiques publiques qui rendent
notre monde inhabitable, à tous les échelons géographiques. L’inhabitabilité de
notre Terre, le franchissement irréversible des 9 limites
planétaires, c’est la fin de l’"écoumène"
(Augustin Berque).
Pour les
Immondes, plus rien ni personne n’est à l’abri. A commencer par les régions et
les populations les plus impactées de la planète (les "MAPA", dans le
jargon des climateux). Sur une planète qui brûle, nous sommes déjà tou.tes privé.es
de chez-soi.
Les
Immondes sont les maîtres de la "nécropolitique", ce
pouvoir exorbitant et discrétionnaire de décider qui peut vivre et qui doit mourir
(selon les termes d’Achille Mbembé).
IV. Notre planète est un zoo
En tant qu’immondices,
les déchets humains sont l’indice indicible de l’im-monde.
a) Ce
que nous faisons
- Prisons, camps
et hospices : invisibiliser les surnuméraires.
- Élevage, marquage
et traçage : façonner les populations.
- Confinement,
isolement et rationnement : dresser les comportements.
- Aliénation,
exploitation et massification : détruire les âmes.
b) Ce que nous nous faisons
- En réduisant
les animaux à des choses, c’est notre propre extermination comme espèces
vivantes que nous préparons.
- En traitant les
animaux comme des bêtes, c’est notre propre assujettissement comme individus
singuliers que nous organisons.
- En manquant d’humanité
pour les animaux, c’est notre propre capacité à rêver et à aimer que nous
détruisons.
- La
déconsidération de nos interdépendances nourrit la sidération de nos
inconscients.
c) Ce que nous nous laissons faire
- Humains et
animaux, nous sommes la matière première des intelligences artificielles qui
gouvernent le capitalisme.
- Animaux et
humains, nos existences sont vidées de leur substance pour servir le
dépaysement d’une élite hors sol.
- Humains et
animaux, nos mondes sont encapsulés dans des environnements synthétiques.
- Animaux et
humains, nos futurs sont en captivité.
V. Aujourd’hui
que faire ?
J’identifie
quatre axes stratégiques.
a) Dés-espérer. Poser un
diagnostic lucide de l’époque et faire le deuil de faux espoirs. Les riches et les puissants mènent une
guerre non déclarée et sans pitié contre le vivant et personne n’est épargné.
b) S’organiser. Face à
cet ennemi, définir
et escalader nos priorités d’autodéfense populaire. De manière
cumulative : faire peur (déstabiliser), faire mal (désarmer) et faire l’amour
(pardonner).
c) S’enraciner. Devant
ce Mal qui vient, se préparer à une
résistance civile effective et non-violente. Y compris en bâtissant des bases arrières,
en développant une branche clandestine et en recrutant des infiltré.es dans l’appareil
d’État.
d) Décroître. En
réponse à ce diagnostic, réaliser des expériences de pensée collectives pour
visualiser notre futur désirable. Par exemple : "Quelles
seraient nos institutions dans un monde à +4° (par rapport à l’ère
préindustrielle) et sans énergies nucléaire et fossiles, ni monnaie-dette, sans
exploitation animale, sans violences sexistes et sexuelles, et sans police ni
milice ?".
VI. Considération
finale
Nous
sommes au cœur d’un combat spirituel qui se décline dans une multitude de
champs de bataille où s’exprime l’enjeu existentiel ("effondrement", "extinction", "extermination", "annihilation"). Laissons-nous
à des psychopathes le pouvoir discrétionnaire de décider qui peut vivre et qui
doit mourir?
Ce qui est
avec les Immenses est bien plus grand qu’avec les Immondes.
Cela me
donne la force d’avoir le courage de poursuivre la lutte pour stopper la
nécrose du monde.
"Acronyme d’Individu dans une Merde Matérielle Énorme
mais Non Sans Exigences. ‘‘Immense’’ est la dénomination, ni stigmatisante ni
réductrice, desdits sans-abri, sans-domicile, sans-logis, sans-papiers, SDF,
précaires, mal-logés ou habitants de la rue. 1. Le mot ‘‘immense’’ est
plus respectueux, sans conteste, et l’irrespect est ce dont beaucoup d’immenses
se disent victimes. 2. Le mot ‘‘immense’’ n’est pas que du politiquement
correct. Il y a un programme politique derrière." (p. 67,
Politique et immensité).