dimanche 30 juin 2013

Hors-cadre

"Mon psy n'est plus mon thérapeute. Où est le mal à cela ?"

Les conventions mises en place par le professionnel structurent la relation thérapeutique, elles définissent les rôles respectifs du client et de son thérapeute et organisent le partage des attentes réciproques. Ce contrat moral est le filet de sécurité qui balise l'espace offert au client et les conditions dans lesquelles le professionnel consacre son attention inconditionnelle à son interlocuteur.

Si ce contrat donne corps à une relation asymétrique, celle-ci vise intrinsèquement la liberté du client. Sur le fond : accroître son autonomie personnelle, source de son émancipation et de sa réalisation. Sur la forme : lui laisser la totale appréciation quant à la manière d'utiliser le temps et l'écoute que lui réserve son thérapeute. Y compris en abandonnant, sans justification, la démarche entreprise.

Concrètement, ces règles portent sur la durée standard de la séance ou du traitement ("Combien de temps cela va durer?"), les modalités d'annulation et de facturation ("Dois-je aussi payer quand je ne viens pas?"), la fréquence des interactions et leur forme ("Puis-je, le cas échéant, vous écrire entre nos séances?"), la discrétion sur l'existence de la relation ("Surtout, ignorez-moi si on se croise dans la rue") et le secret sur ce qui s'y déroule ("Il faut que tout cela reste entre nous"), l'accord préalable ("Allez-vous me forcer à faire des choses?") et le consentement éclairé ("Je ne veux pas que cela me fasse mal") du bénéficiaire des soins. 

L'orthodoxie inculquée à renfort de manuels d'éthique professionnelle codifie en détail les frontières, précautions et rituels préconisés pour gérer les risques inhérents à cette pratique presque sacrée où un inconnu confie son intimité psychique à un autre pour ensemble prendre soin d'elle. Aujourd'hui, même s'il est socialement de bon ton de consulter un psy, cela reste une démarche personnelle et difficile, que le client entame lorsqu'il a épuisé toutes les autres ressources et solutions de survie qui lui sont habituellement offertes. Bravo à toi !


Le diable se cache dans les détails


Assise là devant moi, renfermée sur elle-même*. Lors de notre dernière séance, mon empathie s'était manifestée sous forme de compassion. Comme si une partie d'elle, jusqu'alors muette, pouvait faire entendre sa réclamation en utilisant mon corps pour libérer ses larmes interdites, enfin aspirer à la reconnaissance et réintégrer son concert familial intérieur.

Aujourd'hui, elle se débat avec ses différentes parties intérieures et s'emballe dans ses ressentis à mon égard. Déni : "Ce ne sont pas mes larmes, c'est votre douleur qui s'impose à moi". Colère: "Vous avez failli comme socle de sécurité pour moi". Marchandage : "Comment puis-je apprécier l'authenticité de votre recadrage ?". En accéléré, les premières étapes du deuil (décrit par Elisabeth Kübler-Ross) de la relation thérapeutique laquelle, arrivée à maturité, demande implicitement à se clôturer. Et puis cette demande, de prime abord incongrue : "Monsieur Libois, je peux vous prendre dans mes bras ?". 

La "neutralité affective" proclamée par nos codes de bonne conduite prescrirait de laisser ma cliente sombrer dans l'océan de tristesse où elle surnage. Ah ! la belle hypocrisie professionnelle. Couplée au risque de répéter l'échec primitif : cet état dissocié en réponse à la situation de "savoir ce que l'on n'est pas censé savoir et ressentir ce que l'on n'est pas censé ressentir" (John Bowlby). 

Harold Searles explique comment le client souffre de ne pas avoir pu, bébé, accomplir son élan thérapeutique à l'égard de son parent défaillant et reste, de ce fait, empêtré dans une relation symbiotique non résolue, obstacle à son individuation. Et, comme l'explique bien Alice Miller, c'est pour avoir dissipé cette "confusion de langue entre les adultes et l'enfant" (Sandor Ferenczi) que certains d'entre nous, enfants doués, sont devenus psychothérapeutes. De trop nombreux autres continuent de se rêver comme "nourrisson savant" dans une tentative solitaire de se sauver de leur effroi psychique.


Et l'enfer est pavé de bonnes intentions


Alors que faire : suspendre le cadre thérapeutique ou le liquider ? Faute de pouvoir s'y tenir, le surmonter et sortir par le haut (avec et pour le patient) ou bien s'y soustraire, en sortir par le bas et s'y dérober au détriment de son client ? Sans cadre, c'est abuser de la situation de faiblesse de mon interlocutrice et passer à l'acte de mon propre contre-transfert. Une impardonnable faute du professionnel qui saccage la vulnérabilité de celui qui réclame des soins.

Face à ce dilemme moral, quelle (méta-)règle peut justifier qu'un thérapeute sorte du cadre de travail mis en place avec son client sans, de son propre fait, sortir de son rôle professionnel ? Dans le cas présent, j'ai utilisé le levier du transfert et permis à ma cliente de s'étayer sur Soi, par dérogation consciente aux formes convenues. Tel est parfois le dénouement heureux de la relation thérapeutique. Corollaire méthodologique de cette dérogation, de mon chef, au cadre thérapeutique : la dissolution de l'alliance. 

Coup d'Etat thérapeutique, l'exception à l'asymétrie abroge le caractère exceptionnel de la relation. 

*Situation reconstruite à partir de l'extrapolation de quelques cas cliniques. Que les concerné.e.s acceptent mes condoléances pour la violence symbolique de l'opération et reçoivent ma gratitude pour le travail accompli ensemble.

samedi 15 juin 2013

Masculi(e)n

"Le coaching, c'est pour les gars, la thérapie pour les filles. Et moi, je fais les deux". Dite platement, ma formule d'ouverture traduit bien le positionnement clivé par rapport aux émotions que manifestent, embarrassé.e.s, mes plaignant.e.s. 

Ma chance ? Je peux me la jouer coach Yin ou Yang : 
  • l'entrée mentale, à dominante neurocognitive et comportementale, avec son arsenal de questionnaires standardisés, va brancher le masculin, favori de la prise de tête. Le travail sera d'abord pédagogique : montrer le gain de performance à (re)connaître et utiliser l'énergie émotionnelle. Avant d'être thérapeutique : désamorcer les schémas précoces inadaptés et déjouer par des stratagèmes confusionnant les solutions qui entretiennent les problèmes. Bref, surmonter le détachement et accueillir son ressenti;
  • l'hypnose formelle, l'absorption dans son intériorité et l'abandon à soi délivrent les énergies psychiques nichées dans les interstices corporels, enracinent les ramifications vitales et déployent les arborescences numineuses. Ici la communication thérapeutique est d'emblée diagnostique. Ici se travaille immédiatement l'attachement : réparer les ratés de la socialisation primitive et laisser respirer les enveloppes successives du Moi-Peau, substrat de l'individuation.


Golem

Voilà pour la théorie. Mon expérience de vie et ma pratique professionnelle ont introduit de la nuance dans cette simplification abusive. D'abord, nous faisons tous de l'hypnose sans le savoir. C'est même une condition de revitalisation psychique, comme réinitialiser notre processeur interne et recommencer à neuf. Ensuite, le cerveau, cette merveilleuse machine à simuler la réalité, multiplie la rêverie et explore toutes les possibilités avant de retenir l'option qui lui semble la plus appropriée pour l'action ici-bas. 

Papa, je t'imagine lire mes billets de là-haut. Et me réjouis de te décrypter depuis l'espace des variantes. Papa, de là-haut, sache combien je comprends chaque jour mieux pourquoi tu étais qualifié d'"original". Le temps est venu de me réconcilier avec toi et de rendre au masculin la place qui lui revient. Renaître à soi commence par reconnaître ce que l'on méconnaît déjà. Et, avec Léonard de Vinci, "Plus on connaît, plus on aime".

Fondamentalement, je suis un rejeton du néant, je reviens du désert émotionnel. Nourrisson, je n'avais trouvé comme seule issue à l'emprise primitive sur mon corps que de me réfugier dans ma tête. Papa, de là-haut, que répondre à Maman qui, en plein repas de famille, m'assène : "Tu me dois tout, tu me dois la vie" ? Golem livré à la désolation, il ne me restait qu'à magnifier ma propre dévastation. L'envers du pervers, le revers du narcissique, l'enfer de ses travers : il s'exècre intimement. Et, pour cela, il s'aime sans répit.  


Médée

Enfant, je me rêvais psychiatre. Ma phobie des seringues et des bistouris m'a rendu plus incisif. La philo, c'est aussi moins intrusif. Aujourd'hui, survivant à mon saccage émotionnel, je fais le psy : j'utilise ce que la vie m'a infligé de pire afin que mon client en retire le meilleur pour soi. Papa, de là-haut, réjouis-toi de voir comment je monétise mes compétences acquises dans la confusion familiale. Je les ai ensuite peaufinées avec ma première expérience conjugale. Ah ! que les scénarios de vie ont la peau dure. Papa, de là-haut, que répondre à Maman qui, un bel après-midi d'été, offre un porte-jarretelles à sa petite-fille de 11 ans ?

La fine dentelle psychotraumatique qui s'est imprimée comme ma réalité affective précoce s'est reproduite subrepticement dans le choix de la mère de mes enfants. Comme si j'avais tenté, en tant que fondateur de ma famille adulte, de parachever mon expiation d'avoir été là bébé. Mon apprentissage si familier des états limites au contact de ma mère s'est enrichi d'une descente aux enfers matriarcaux, précipitée avec sa bru. Père privé de mes deux premiers garçons du fait de leur propre mère, ravagée par une jalousie insatiable, mes chairs (dont la chair de ma chair) ont souffert de l'inanité de la justice des hommes et des femmes face à la soif de vengeance sadique de Médée répudiée. Papa, de là-haut, comment as-tu décelé la vérité cachée de celle dont "noires" est l'anagramme ?


Hulk

Aujourd'hui, je déploye les soins de l'âme au service de la reconnaissance du Soi. Je navigue entre Charon, Cerbère et Orphée, croise des silhouettes perdues dans le Mordor, reçois les réclamations de Mânes et les accompagne jusqu'au seuil de la renaissance. Alors, masculin ou féminin, ce qui s'extrait de la crypte réclame un visage humain, sauvé par le rêve du cauchemar archaïque. En cette époque de mariage pour tous, chers masculinistes, salafistes et autres croisés traditionalistes, remerciez l'extraversion des invertis, si révélatrice des infidélités de votre dogmatisme identitaire.

Rescapé touché par l'amour de ma vie, je découvre aussi la joie de travailler avec Frédérique, ma femme féerique, et de partager notre intimité urbaine autour de la périnatalité, dans un dialogue serein entre hommes et femmes, parents et amants. 


mercredi 12 juin 2013

Zèbres

Beaucoup de choses, parfois très inégales*, sont écrites et dites sur les thèmes de la "douance" (au Québec), du "surdouement" (en Europe), du "highly gifted" (en anglais) ou du "zèbre" (pour reprendre l'appellation affectueuse proposée par Jeanne Siaud-Facchin). Bref, "HP" n'est ni Harry Potter, ni Hercule Poirot, ni Hewlett Packard. Simplement : haut potentiel, manière neutre de décrire une forme d'intelligence différente, intégrant étroitement aspects cognitifs et affectifs. 

Avec mes clients adultes, j'utilise le plus souvent l'analogie d'un branchement neuronal en parallèle (ou en arborescence) plutôt qu'en série (ou linéaire). Ce qui illustrerait le traitement spécifique de l'information fournie au cerveau à travers le corps : plus rapide et plus volumineux, avec le risque de courts-circuits et de décalages adaptatifs (ce que Jean-Charles Terrassier appelle "dyssynchronie"). 

Je décris ma propre visée thérapeutique comme "resynchronisateur d'hyperboles" afin de mettre mon vécu au service de mes congénères et leur épargner ma douloureuse prise de conscience lorsque je dus admettre que la soucoupe volante qui m'avait déposé ici 40 ans plus tôt ne viendrait pas me rechercher et que je devais désormais m'acclimater à la cohabitation avec les normopensants.


Quelques lectures

Je vous propose quelques lectures personnelles afin découvrir de l'intérieur (ou se reconnaitre dans) ces jeunes, adultes, couples ou parents habités, parfois encombrés, par un ressenti de décalage par rapport à leur entourage, à leur époque et au monde d’aujourd’hui. Pour rendre compte de ce vécu difficile, parfois handicapant, Christel Petitcollin préconise "surefficient mental", par analogie inverse au déficient mental (situé à l'autre extrême de la courbe de Gauss du quotient intellectuel). 

Un premier pas vers l'acceptation des zèbres, ces animaux hauts en couleur ?


Ouvrages pour professionnels : 


- Ellen Winner, Surdoués. Mythes et réalités, trad., 1997 : un état des lieux de la recherche solidement documenté et nuancé. Dédicacé à son mari, Howard Gardner, à l'origine de la théorie des intelligences multiples.  

- Alice Miller, Le drame de l'enfant doué. A la recherche du vrai Soi, trad., 1983 : comment la trop grande sensibilité corporelle et émotionnelle peut rendre vulnérable aux empoisonnements psychiques. Et - une fois l'enfant doué devenu adulte - comment elle peut encourager des vocations de psychothérapeutes afin d'aider à guérir des traumatismes avec un petit "t".


Livres grand public :


- Elsa Autan-Pléros, Je suis précoce. Mes parents vont bien, 2010 : des outils sous forme de mindmaps (cartes heuristiques) afin de faciliter le dialogue familial "Haute Pression".

- Martin Page, Comment je suis devenu stupide, 2000 : le récit autobiographique d'un mec "trop intelligent pour être heureux" qui cherche à débrancher son cerveau. 

- Mathilde Monaque , Trouble-tête. Journal intime d'une dépression, 2006, le pendant douloureux de l'expérience vécue de Martin Page.


Albums pour enfants : 


- Qui savent déjà lire : Jean-Claude Grumberg, Mange ta main. Un conte pour enfants précoces ou adultes attardés, 2006. Une savoureuse pièce de théâtre qui brode sur la tendance des HP à prendre les choses au pied de la lettre et à involontairement faire compliqué quand cela leur semble trop simple. Autre histoire (vécue) : l'enfant qui se forçait à vider son assiette, faute de trouver le coin dans lequel laisser ce qu'il avait de trop.

- Recommandation de Noémie, 11 ans, pour ceux qui, comme elle, dévorent les livres : Louis Sachar, Des poissons dans la tête, trad., 2008. "Angeline a huit ans, trois ans d'avance à l'école et des poissons plein la tête... Quand ses camarades la traitent de monstre ou de bébé, elle trouve refuge au milieu des immenses aquariums du Musée océanographique" (présentation de l'éditeur).

- Pour tous : l'intégrale des albums de Claude Ponti. Et qui retenir entre Adèle, Anne Hiversère, Pétronille et ses 120 Petits, Okilélé, le Doudou Méchant, Schmélele et l'Eugénie des Larmes, Blaise le Poussin Masqué, Tromboline et Foulbazar ? Peut-être le Nakakoué. Parce qu'il connait le secret.


Ressources Web : 


- http://talentdifferent.expertiseweb.fr : Talent différent. Quand surdoué rime avec Absurdoué. Le blog de Cécile Bost est une mine de ressources afin de mettre en abîme et relativiser ses états d'âme métaphysiques.

- http://www.ehpbelgique.org : le site de l'association Épanouir le haut potentiel. Initialement centré sur les enfants et les adolescents, EHP devient progressivement la plate-forme impartiale de toutes les parties concernées en Belgique.


*PS : les HP, nouvelle "commodity" après le stress il y a quelques années ? A voir l'éclosion spontanée de tant de coachs autoproclamés et dévoués à sauver les zèbres de leur funeste condition, je me régale en relisant la "recommandation au gouvernement de considérer comme une priorité en matière de santé publique l'adoption d'une loi protégeant le titre de psychothérapeute" (CIAOSN, 2004). 

mardi 11 juin 2013

Supervision

Partager mes cas difficiles avec un aîné, dans un esprit de dialogue entre pairs, c'est de prime abord une promenade de santé mentale. 

Comment mes propres états d'âme, troubles de l'humeur ou réponses corporelles s'invitent-ils dans le cadre thérapeutique ? Et à quelles questions dormantes me renvoient-ils ? Parfois, il suffit que je relate une situation en apparence inextricable ou simplement troublante et m'entende aussitôt décrire la solution appropriée. Une autre fois, c'est au détour d'un détail anodin que la présence bienveillante de mon interlocuteur dénoue un écheveau archaïque. 

A chaque fois, les angles morts de ma pratique professionnelle renvoient à ce qu'il me reste à travailler, afin de ciseler l'instrument que je suis pour mes clients. La supervision est une mise en abyme du miroir - ici concave, là convexe - que mes clients utilisent pour avancer. Ils survivent depuis si longtemps avec leur problème qu'ils en sont devenus experts. Reconnaître et utiliser les tendances thérapeutiques de mes clients suffit pour les affranchir de leur souffrance. Et, comme l'écrit Harold Searles, la gratitude que je ressens à leur égard est l'indicateur de la réussite de notre travail commun.

Surmonter la désintégration

La supervision me permet de déposer, à mon tour, ce que j'ai reçu en désespoir de cause et qui ne m'appartient pas : paroles sacrées, colères retenues, hontes bues, pleurs ravalés, sanglots étouffés, culpabilités destructrices, secrets de famille, empoisonnements psychiques, effractions dévastatrices, intimités intrusées, terreurs nocturnes, oripeaux étouffants, carcasses trop étroites, mânes en souffrance. Certains de ces cadeaux me collent à la peau, d'autres s'immiscent dans mes rêves, les plus espiègles s'improvisent quand mes ressources habituelles se tarissent. 

Le Moi hanté est une identité issue d'un nid d'entités. Le professionnel (le corps du thérapeute ou, après coup, l'écoute de son superviseur) accorde l'asile inconditionnel à ces fragments d'esprit désintégrés. Après être survenu et reconnu dans l'alliance thérapeutique, ce qui s'est manifesté se trouve délivré de son exil et réintègre son unité. L'espace de transition refermé, je me nettoye des scories abandonnées dans le sas. Et chaque mois, je fais le grand remue-ménage et débusque les ombres tapies dans les recoins de mon âme. 

Garantie de la qualité des services thérapeutiques, la supervision est un garde-fou.

lundi 10 juin 2013

Efficacité

Qu’est-ce qui rend mon psy efficace ? Cet enjeu s'inscrit à la charnière des leçons de savoir-vivre et des percées épistémologiques.

Jeanne Siaud-Facchin est connue pour son accompagnement des "zèbres", enfants-vieillards et adultes précoces. Elle en fait une description clinique nuancée dans ses ouvrages L’enfant surdoué. L’aider à grandir. L’aider à réussir (2002) et Trop intelligent pour être heureux. L’adulte surdoué (2008).

Ma curiosité a été piquée lorsqu’elle explique dans son dernier ouvrage (2012) que "la méditation a révolutionné [s]a façon d’être" et que "la méditation a beaucoup changé [s]a pratique de psy". Par méditation, Siaud-Facchin entend simplement : se poser, ressentir, observer et laisser être. Cette approche s’inscrit, du point de vue méthodologique, dans le courant récent de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT, dernière vague des thérapies cognitivo-comportementales) et, du point de vue spiritualiste, dans la vogue de la psychologie positive (illustrée par la trilogie de notre compatriote guérisseur Thierry Janssen).

Siaud-Facchin trouve dans la méditation de quoi étayer son intuition sur l’"hyperconscientisation" qu’éprouvent – parfois douloureusement – les personnes à haut potentiel, au "croisement entre l’intelligence aiguisée et l’hyperréactivté émotionnelle". Alors, comment utiliser cette "hyperconscience" pour mieux être au monde ? Comment retourner cette capacité spontanée à se dissocier en une ressource pour une meilleure présence d’esprit plutôt que comme un handicap, source de souffrance ?


Contrôlabilité

Michael Yapko, connu pour son traitement de la dépression par l’hypnose (2006), compare la méditation de pleine conscience et l’hypnothérapie, dans son ouvrage Mindfulness and Hypnosis. The power of suggestion to transform experience (2011). Points communs : toutes deux peuvent s’inscrire dans une quête de spiritualité individuelle et fournir une technique thérapeutique, selon que l’on favorise l’acceptation sans destination ou que l’on poursuive des objectifs spécifiques. Dans ce dernier cas, on mettra l’accent sur la "contrôlabilité", condition préalable à la prise de décision, en distinguant ce sur quoi on peut agir et ce que l’on doit simplement laisser être, ici et maintenant.

Si l’efficacité de la méditation de pleine conscience dans le traitement de la dépression a été démontrée, conformément aux règles de la médecine fondée sur des preuves ("Evidence Based Medecine", voir notamment les ouvrages de Kabat-Zin, 2009, et Segal, Williams & Teasdale, 2006), quel est l’apport de l’hypnothérapie ? Yapko argumente que la méditation est en réalité une forme d’hypnose, réduite biologiquement par l’explication objectivante de ses bénéfices anatomiques (plasticité neuronale et régénération cellulaire). Cette approche nous prive du point de vue performatif du participant à la relation clinique, dans un contexte interpersonnel et à des fins thérapeutiques. Contre le "bioréductionnisme", Yapko valorise la dimension sociale (l'alliance thérapeutique) et l'apprentissage expérientiel (vivre les choses).


Stratagème

Cette discussion entre l’"idéologie de la maladie" (rôle tenu par la médecine occidentale technologisée) et les médecines complémentaires se poursuit dans l’ouvrage du Dr. Jean-Marc Benhaiem, L’hypnose ou les portes de la guérison (2012). L’auteur a créé en 2001 le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale au CHU de la Pitié-Salpétrière. Vous lirez avec intérêt le chapitre "La psychopathologie est-elle soluble dans l’hypnose ?". Extrait : "Davantage que la désignation de l’expression naturelle d’une maladie, le diagnostic psychopathologique apparaît donc comme un langage dont doit user le patient pour obtenir du soignant l’attention légitime qui convient au contexte du soin". Côté psy, il est préférable d’adapter la thérapie au client que l’inverse, si l’on souhaite reconnaître et soulager la souffrance morale et relationnelle du patient.

Tel est le credo permanent de la thérapie brève stratégique, modélisée par l’école de Palo-Alto. La traduction et la publication récentes, par les éditions Satas, de trois ouvrages de Giorgio Nardone offrent une prise en main aisée du savoir-faire de celui qui, après son maître Paul Watzlawick, excelle dans la déconstruction des solutions qui font empirer le problème et l’utilisation du stratagème thérapeutique pour faire sortir le client de ses automatismes (comporte)mentaux. Bref, pratiquer l’art du changement comme une hypnothérapie sans transe.


Intentionnalité

Finalement, quelle que soit la technique adoptée, la communication thérapeutique sera efficace si elle permet au client de revivre "l’expérience phénoménologique" de soi, des autres et du monde, en échappant au double biais mentaliste ou naturaliste, commun à la psychologie et aux neurosciences, et au travers duquel nous nous comprenons encore souvent et à tort. Contre toute objectivation du Self, Paul Ricœur décrit ainsi l’"intentionnalité", lieu originaire de la communication intersubjective : "Je suis hors de moi quand je vois, c’est-à-dire que voir c’est être mis en face de quelque chose qui n’est pas moi, c’est donc participer à un monde extérieur. Je dirais donc que la conscience n’est pas un lieu fermé dont je me demanderais comment quelque chose y entre du dehors, parce qu’elle est, dès toujours, hors d’elle-même" (Changeux et Ricœur, 2008).

Les télécoms offrent du temps de parole, les psys du temps d'écoute.

NB : les références citées ou évoquées figurent sur la page "Ether".

dimanche 9 juin 2013

Hypnose

L’hypnose, on en fait tous au quotidien sans le savoir. Ne vous est-il pas déjà arrivé de déconnecter de l’instant présent, d’avoir la tête dans les nuages, de rêver éveillé, d’avoir l’esprit ailleurs, de flotter bercé par les conversations de votre entourage ?

C’est ce que Milton H. Erickson appelle la "transe commune quotidienne". Et cette envie irrépressible de s’absorber intensément en soi-même, pendant 10 à 20 minutes, notre corps nous y invite chaque jour, toutes les 90 à 120 minutes environ (les cycles ultradiens). De tels états de conscience non ordinaires peuvent être encouragés, déclenchés ou augmentés, sans recourir aux technologies électroniques de réalité virtuelle.

Cette sollicitation à s’abandonner renvoie à un instinct vital de nous reconnecter à nos ressources spontanées d’auto-guérison et au besoin de resynchroniser nos rythmes biologiques, psychologiques et sociaux afin de transformer les turbulences de notre environnement.

Parfois les chemins de la vie nous ont éloigné de ce que nous avions appris à faire naturellement et en y prenant plaisir. L’accompagnement d’un thérapeute devient alors nécessaire afin de faciliter l’accès à notre immense réservoir non-conscient de possibilités dormantes. Ou simplement pour mobiliser des moyens plus écologiques sur le plan personnel de devenir congruent : à la fois faire ce que l’on dit que l’on fait et dire ce que l’on fait que l’on dit. Bref, l’hypnose c’est d’abord une communication efficace parce qu’authentique.

Et comme nous avons tous l’art de devenir, il n’y a rien besoin de faire, ni rien besoin de savoir pour entrer en transe. Simplement laisser notre corps trouver une position confortable, en plein accord avec toutes les parties de notre existence. Le rôle de l’hypnothérapeute est, lui aussi, d’en faire le moins possible. Être là, quoi qu’il arrive, comme un socle de sécurité pour son patient en lui consacrant son attention inconditionnelle. Simplement utiliser et amplifier ce que le patient apporte, consciemment et inconsciemment, afin de lui permettre d’être auprès de lui-même et au plus près de ce qu’il fait déjà.

samedi 8 juin 2013

Ouvrir mon carnet à spirales

Je reprends la plume de manière méthodique, après plusieurs années d'abstinence. Mon dernier ouvrage remonte à 2002. Il était consacré à la communication publique et à l'émancipation politique. Aujourd'hui, place à la communication thérapeutique et à l'identité personnelle.


Comment en suis-je arrivé là ?

En publiant le coeur spéculatif de mon doctorat en philosophie, je pensais sincèrement avoir atteint les limites de ce que je pouvais penser sur les fondements normatifs de l'espace public contemporain, dans la lignée de la Théorie critique de la société. Par congruence, il me restait à orchestrer l'institutionnalisation de ma visée théorique en organisant la constitutionnalisation du quatrième pouvoir depuis le mirador qu'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Mon insupportable prétention à avoir raison trop tôt et à le faire savoir bruyamment m'a relégué dans le no man's land du conseil en stratégie et en organisation. Quelle aubaine pour y élaborer quelques projets fumeux sur l'intelligence collective : alchimie improbable des créatifs culturels, pionniers autoproclamés de la sobriété volontaire, de la collaboration entre auto-entrepreneurs faussement désintéressés, agglutinés sur des radeaux de la Méduse réhabilités en cabinets-experts, et des mirages techno-optimistes de l'Internet 2.0. pour tous. "Biloba", "PatchWorking" ou "InLoveMint" sont les rejetons de ma surchauffe neuronale.

Le syndrome de Münchausen a fait long feu. Peut-être n'en suis-je pas encore tout à fait guéri. J'y décèle une réclamation à être reconnu, aspiration à honorer aujourd'hui de manière plus écologique. Je reprends en tout cas goût à écrire et à penser en mon nom propre. Sans trop vite m'emballer dans une vocation mégalomaniaque à changer le monde, en me débattant dans mon verre d'eau. Tel Buzz l'Eclair qui, faute de s'envoler vers l'infini et au-delà, s'écrase avec panache sur la moquette.

L'usage des nouvelles applications sociales en ligne m'offre l'occasion d'expérimenter les promesses et les limites de la démocratie délibérative et d'accéder aux ressources partagées par les chercheurs intervenants dans ces pratiques de socialisation publiquement médiatisées. Cette actualisation du projet inachevé des Lumières renoue avec mes intérêts spéculatifs initiaux. Le dialogue avec mes étudiants de communication à l'ISFSC m'a confronté à l'impératif pratique de reformuler dans leurs termes le fragile héritage démocratique "Vieille Europe". Enfin, une discussion sans concession m'a permis de jeter un regard dans le rétroviseur et réaliser sereinement le deuil d'ambitions obsolètes.


Et après ?

Je me surprends aujourd'hui à dérouler ma pensée de manière non linéaire, sans exposer par le menu un plan déductif rigoureux. Je m'observe avec curiosité bavarder à voix haute à propos de ce que je suis devenu, en acceptant de faire simple là où je m'efforcais de faire compliqué. J'avoue avoir encore des efforts à faire pour être moins elliptique.

Ce carnet à spirales va s'enrichir au fil de l'eau : widgets ergonomiques et participatifs, retours d'expériences issus de ma clinique thérapeutique, notes de lectures personnelles, ressources méthodologiques éclectiques, développements théoriques et prolongements politiques. Seul objectif : déployer en toute transparence mon arrière-plan conceptuel et laisser fleurir mes arborescences spirituelles. Avantage pour moi : soulager les soutes de mon cerveau volant après chaque voyage. Bénéfice pour mes clients : m'interroger sur mon éthique professionnelle.