(Lecture) Contraindre les dirigeants de l’Etat
capitaliste à un nouveau compromis de classe avec la société civile ?
Telle est l’ambition socialiste et démocratique d’Erik Olin Wright dans son ouvrage Utopies réelles (2010), récemment
traduit en français.
Le sociologue américain contemporain élabore
une "science sociale émancipatrice" pour démontrer la faisabilité
de la construction d’un rapport de forces avec les pouvoirs administratif et
économique réellement existants et en vue d’éroder la domination du capitalisme
sur la société. Wright identifie
les leviers concrets travaillant aujourd’hui à la "transformation
symbiotique" du capitalisme plutôt qu’à son renversement ou son
effondrement.
Sur le plan de la démocratie politique, il
s’agit par exemple du budget participatif municipal, du financement public et
égalitaire des campagnes électorales ou des assemblées de citoyens aléatoirement
sélectionnés. Sur le plan de la démocratie économique, le revenu inconditionnel
de base comme investissement non contingent permettrait d’amorcer des initiatives
d’économie coopérative et de développer le secteur d’activités sociales autonomes.
D’autres instruments du "capitalisme social" sont étudiés : les fonds de solidarité
contrôlés par des travailleurs et les fonds de salariés avec prélèvement d’actions.
Considérant que les rouages étatiques sont assujettis
aux intérêts financiers, l’objectif est de reconnecter le pouvoir administratif
et le pouvoir économique au pouvoir social, compris comme pouvoir d’agir
enraciné dans la société civile. Combinant pragmatisme politique et
égalitarisme démocratique, la "boussole socialiste" de Wright permet de conserver le cap vers
une société plus juste pour tou.te.s, tout en détectant les dispositifs
institutionnels déjà à l’œuvre aujourd’hui pour sa réalisation dans le monde.
A la lecture d’Utopies réelles, les révolutionnaires s’indigneront peut-être du
manque de rupture radicale des expérimentations sociales analysées par Wright. Confrontés aux défis climatique
et technologique, les réactionnaires se résigneront-ils à concéder plus
d’autonomie à des travailleurs compétents, surnuméraires et désœuvrés, et à les
laisser développer des formes non capitalistes de production ?
Ouverte aux dynamiques historiques et nourrie
par elles, la démarche de Wright
remet en lumière l’érosion ambivalente du capitalisme : pour se maintenir au pouvoir, les élites dirigeantes de l'Etat capitaliste doivent laisser grignoter sa position dominante au sein du système économique global. Se revendiquant d’Antonio
Gramsci, Utopies réelles illustre
comment, dans les faits, concilier le pessimisme de l’intelligence et
l’optimisme de la volonté.
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