mercredi 14 février 2018

Erik Olin Wright, "Utopies réelles"


(Lecture) Contraindre les dirigeants de l’Etat capitaliste à un nouveau compromis de classe avec la société civile ? Telle est l’ambition socialiste et démocratique d’Erik Olin Wright dans son ouvrage Utopies réelles (2010), récemment traduit en français.

Le sociologue américain contemporain élabore une "science sociale émancipatrice" pour démontrer la faisabilité de la construction d’un rapport de forces avec les pouvoirs administratif et économique réellement existants et en vue d’éroder la domination du capitalisme sur la société. Wright identifie les leviers concrets travaillant aujourd’hui à la "transformation symbiotique" du capitalisme plutôt qu’à son renversement ou son effondrement.

Sur le plan de la démocratie politique, il s’agit par exemple du budget participatif municipal, du financement public et égalitaire des campagnes électorales ou des assemblées de citoyens aléatoirement sélectionnés. Sur le plan de la démocratie économique, le revenu inconditionnel de base comme investissement non contingent permettrait d’amorcer des initiatives d’économie coopérative et de développer le secteur d’activités sociales autonomes. D’autres instruments du "capitalisme social" sont étudiés : les fonds de solidarité contrôlés par des travailleurs et les fonds de salariés avec prélèvement d’actions.

Considérant que les rouages étatiques sont assujettis aux intérêts financiers, l’objectif est de reconnecter le pouvoir administratif et le pouvoir économique au pouvoir social, compris comme pouvoir d’agir enraciné dans la société civile. Combinant pragmatisme politique et égalitarisme démocratique, la "boussole socialiste" de Wright permet de conserver le cap vers une société plus juste pour tou.te.s, tout en détectant les dispositifs institutionnels déjà à l’œuvre aujourd’hui pour sa réalisation dans le monde.

A la lecture d’Utopies réelles, les révolutionnaires s’indigneront peut-être du manque de rupture radicale des expérimentations sociales analysées par Wright. Confrontés aux défis climatique et technologique, les réactionnaires se résigneront-ils à concéder plus d’autonomie à des travailleurs compétents, surnuméraires et désœuvrés, et à les laisser développer des formes non capitalistes de production ?

Ouverte aux dynamiques historiques et nourrie par elles, la démarche de Wright remet en lumière l’érosion ambivalente du capitalisme : pour se maintenir au pouvoir, les élites dirigeantes de l'Etat capitaliste doivent laisser grignoter sa position dominante au sein du système économique global. Se revendiquant d’Antonio Gramsci, Utopies réelles illustre comment, dans les faits, concilier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire