mardi 31 janvier 2023

Aspie

"Bizarre", "décalé", "exubérant", "original", "intempestif".

Si "Je est un autre", je suis des vôtres.

La liste est longue des perceptions dissonantes de moi, ressenties en interne ou renvoyées de l’extérieur.

Et aussi : excessif, complexe, cinglant, hypersensible, extralucide, imprévisible, déroutant, maladroit, fragile, attachant, rigide, glaçant, inadéquat, envahissant, perdu, turbulent, intense, épuisant, agité du bocal, hors sol, spécimen, déconnecté, olibrius, spécial, zigoto, hors norme, hurluberlu, handicapé social, énergumène. Ou encore : entier, visionnaire, drôle, dévoué, poétique, romantique, épuré, minimaliste, humble, autodérisoire, résilient, inspirant, passionné, exalté. Et parfois : précurseur, penseur, guerrier, mentor, inspiré.

Dresser cet inventaire des descriptions, stigmatisantes, compatissantes ou admiratives, dont j’ai fait l’objet n’a pas pour but de me poser en victime persécutée, monstre de foire exotique ou héros méconnu. Pourquoi devoir attendre la carte Vermeil pour faire son coming-out d'autiste Asperger et partager les enseignements de son parcours sinueux?

Surtout que l'intuition d'être en porte-à-faux par rapport aux règles de la société (et aux attentes sociales qui y sont sédimentées) peut alimenter une psychopathologisation de soi-même (qu'est-ce qui cloche en moi?) autant qu'elle peut exciter la curiosité de valider l'auto-diagnostic de son handicap invisible (ma différence fait-elle vraiment la différence?). 

"Impossible de vivre avec, difficile de vivre sans" disait maman de papa. Aujourd’hui, je peux refermer le kaléidoscope étourdissant des versions infinies de moi-même. 

Et cesser le bruit mental permanent pour tenter de faire la part du feu quant à ce que je dois accepter dans mon logiciel interne (ce qui est gravé dans le dur neuronal), ce que je peux apprendre pour en améliorer les compétences et les performances (expliquer les humains et interagir avec les créatures neurotypiques), et là où je risque de me suradapter, avec le risque d'effondrement interne (la tempête émotionnelle m’anéantit), d'escalade externe (drama queen, j'impose mon show sans vergogne) ou de plantage généralisé (courts-circuits et je m'éjecte en urgence), lorsque le camouflage du caméléon est percé à jour ou le filtre qui contrôle ma bulle est saturé de stimulations sensorielles, d'interactions sociales ou de représentations conceptuelles.

Quelles attitudes adopter devant le risque de se noyer dans le trop-plein de la vie? Faire simple alors qu'on peut faire compliqué? Apprendre à s'écouter parler afin d'éviter de parler pour ne rien dire? Se doter d'une bulle psychique portable par autohypnose, cohérence cardiaque ou méditation? Préférer la compagnie fraternelle des autres qu'humains à la fréquentation fébrile des normopensants? S'inventer un environnement synthétique dont on aurait le contrôle total? S'impliquer politiquement pour déconstruire le validisme et défaire le système toxique qui le sous-tend?

Recevoir la confirmation par un professionnel chevronné de ma condition d'Aspie est un soulagement émotionnel et un apaisement cognitif. J'exprime aussi mes remerciements pleins de gratitude à celleux qui ont supporté si longtemps, et parfois souffert, des versions toxiques de moi. Je témoigne enfin pour que, parent, partenaire ou professionnel.le, les personnes qui s'y reconnaîtraient écoutent la voix intérieure qui leur réclame maladroitement d'être considérée dans sa spécificité.

 

 

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